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[Echapper au déclin]. 1. Dette publique, déficit, emprunt, ce qu’il faut savoir.
par Nicolas Quint
mardi 22 janvier 2013 - Mis à jour le dimanche 26 mai 2013
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Dette, déficit, chômage, austérité, compétitivité, croissance, ces mots irriguent les discours et les déclarations des politiques, des journalistes et des experts de toutes disciplines, dans la plupart des pays industrialisés. En France, les idées toutes faites, les contre-sens, les stéréotypes, l’idéologie ne permettent pas de réaliser un consensus, de parvenir à un constat partagé sur la situation économique et sociale, sur ses causes, et encore moins sur les remèdes, malgré des progrès, comme le montre l’issue plutôt positive des discussions qui viennent de se tenir entre les partenaires sociaux. Quelle est la situation ? Quelles en sont les causes, les solutions proposées ? Dans cette série d’articles sur la situation française, Nicolas Quint pointe les vérités que tout non spécialiste de bonne foi reconnaîtra. L’auteur se détourne des discussions théoriques ou idéologiques et apporte au lecteur le jugement d’un acteur de terrain, et son talent de débatteur.
La fabrication de la dette
Le PIB (Produit intérieur brut) de la France est de l’ordre de 2.000 milliards d’euros (Mds€) pour une année [1]. La dette publique atteint 90% du PIB soit 1.800 Mds€. Le gouvernement s’est engagé à ce que le déficit public ne dépasse pas 3% en 2013, soit 60 Mds€, contre environ 90 Mds€ en 2012. Le déficit était de 115 Mds€ en 2011, et 140 Mds€ en 2009 et 2010. Une partie de ce déficit est due au remboursement des intérêts de la dette soit 45 à 50 Mds€/an. Il ne s’agit que des intérêts puisque le principal n’est pas remboursé (il faudrait pour cela que le budget de l’Etat soit en excédent, ce qui n’est pas arrivé depuis plus de trente ans. Les administrations publiques versent ainsi 2,8% d’intérêts sur la dette chaque année. Même si le gouvernement cessait de payer les intérêts de la dette, le budget public resterait en déficit).
Toutes les statistiques comparent la dette au PIB : mesurer la dette en pourcentage du PIB a un sens pour comparer la dette relative entre plusieurs pays. Mais c’est pernicieux car cela laisse croire que l’objectif de limiter la dette à 3% du PIB est facile à atteindre. On comprend mieux la réalité des chiffres si on observe que les dépenses de l’Etat dépassent de 20% ses recettes, un problème d’une ampleur toute autre.
Il faut bien comprendre comment est structuré le budget public, et ne pas oublier qu’il se distingue du PIB. Ce budget atteint environ 1.200 Mds€ en 2011 pour les administrations publiques : 450 Mds€ pour l’Etat en tant que tel et les établissements publics (ODAC [2]) qui lui sont rattachées, 235 Mds€ pour les collectivités territoriales et locales, et plus de 530 Mds€ pour la sécurité sociale. Un déficit de 3% du PIB comme espéré en 2013 reviendrait à dépenser environ 5% de plus que les recettes prévues. Un déficit de 6% du PIB comme en 2010, que la dépense est environ 10% plus élevée que les recettes. Or, en 2010, le déficit de 121 Mds€ de l’Etat montrait que, lorsqu’il encaissait 100€ de recettes, il dépensait ... 137€. L’Etat reste le vecteur des principaux déficits puisque le budget des collectivités locales est par construction en équilibre pour le fonctionnement (les collectivités ne peuvent emprunter que pour l’investissement). Et quoi qu’on en dise, le « trou » de la Sécurité Sociale est bien moins profond que celui qu’a creusé l’Etat depuis 40 ans.
Quelle sont les recettes ? Les plus importantes résident dans les charges sociales pour le financement de la protection sociale. Viennent ensuite les recettes de l’Etat, par ordre décroissant d’importance : la TVA (140 Mds€/an), la CSG (88 Mds€, transférés à la sécurité sociale), l’impôt sur le revenu (50 Mds€), les taxes foncières et d’habitations (43 Mds€), l’impôt sur les sociétés (IS, 42 Mds€), la taxe sur les produits pétroliers (TIPP, 24 Mds€), les taxes sur les tabacs et boissons (11 Mds€), et enfin l’impôt sur la fortune (ISF, 4 Mds€). Notons au passage que l’impôt sur le revenu qui retient une bonne part de l’attention contribue au financement de moins de 10% des dépenses de l’Etat et 4% de toutes les dépenses publiques de la nation. Les dirigeants politiques français, contrairement à ceux d’autres pays qui ont fait le choix de la transparence, ont toujours privilégié les recettes peu visibles, « indolores », comme la TVA ou la CSG, aux recettes visibles, celles qui obligent le contribuable à un paiement direct.
Payer la dette en s’endettant à nouveau
La dette croît mécaniquement quand le budget est en déficit. En 2013, l’Agence France Trésor devra trouver sur les marchés environ 180 Mds€, bien plus que le déficit lui-même, car pour financer la dette, cette agence émet des obligations d’Etat [3] de durées différentes, la principale étant de 10 ans. Le dernier placement d’OAT à 10 ans au début de cette année a été fait à un taux de 2,07%. Ainsi, chaque année pendant 10 ans, à date anniversaire, l’Agence France-Trésor devra verser 2,07% d’intérêts à ceux qui lui ont prêté. Ce versement d’intérêt correspond aux quelques 45 à 50 Mds€ (un montant équivalent à celui de l’impôt sur le revenu). Dans 10 ans, en 2023, l’argent prêté devra être rendu, comme en cette année 2013 où nous devons rembourser l’argent qui nous a été prêté en 2003. Mais le gouvernement ne peut pas rembourser, puisqu’il est en déficit : il doit donc ré-emprunter aux mêmes créanciers ou à d’autres (on dit aussi re-financer) pour 10 ans de plus. Par le jeu des intérêts, cela revient à payer des sommes colossales, parfois le double ou le triple de la somme de départ. Heureusement, les intérêts actuels sont très bas (moins de 3% sur l’ensemble de la dette française). Que ces intérêts doublent (situation espagnole) et le paiement des intérêts augmenterait (sur 10 ans, par le jeu du « roulement ») de 50 Mds€/an, obligeant le gouvernement à faire chaque année des coupes dans les plus importantes dépenses de l’Etat, par exemple l’éducation nationale ou l’armée.
Une dette trop élevée pour être remboursée
Certains tiennent le discours suivant : certes, la France a un lourd passif (sa dette) mais elle est aussi riche d’un actif qui l’égale voire le dépasse : son immobilier, ses paysages, ses infrastructures, ses entreprises publiques. Raisonnement tout droit issu de la comptabilité d’entreprise : pour jauger la solvabilité d’une entreprise, on fait son bilan ; à droite le passif, à gauche l’actif, les deux étant par construction égaux. Le passif liste les ressources financières à disposition de l’entreprise : bénéfices accumulés, dettes contractées, capital. A l’inverse, on inclut dans l’actif la trésorerie disponible, les participations, les actifs matériels (usine, machines) et immatériels (brevets, marque). Si les actifs sont de valeur et liquides (facilement revendables), l’entreprise pourra mettre plus facilement la main à la poche pour rembourser ses dettes. Et si un jour l’entreprise est en cessation de paiement, les créanciers peuvent vendre les usines ou les brevets pour récupérer leur mise. Mais la France n’est pas une entreprise. Le gouvernement de la France va-t-il revendre la Tour Eiffel, les Alpes ou le palais de l’Elysée pour rembourser sa dette ? Les principaux actifs que le pays pourrait théoriquement mettre en gage ne sont pas liquides. De nombreuses participations dans les entreprises publiques (des bijoux de famille comme les sociétés d’autoroute) ont déjà été vendues. L’Etat français est surtout riche de son patrimoine immobilier. Mais celui-ci est estimé à ce qu’on appelle sa « valeur de marché » [4], qui est supérieure au prix que l’on pourrait raisonnablement obtenir d’un acheteur aujourd’hui : la France a vu les prix de son immobilier multipliés par plus de deux mais contrairement aux USA, à l’Irlande, à l’Espagne, la bulle immobilière ne s’est pas dégonflée.
Imaginons un scénario suivant lequel un gouvernement est élu par les Français pour rembourser la dette coûte que coûte. Supposons que ce gouvernement décide de la politique suivante, et qu’il parvienne à la réaliser :
en 2013, le déficit public atteint 3% du PIB, soit environ 60 Mds€,
l’Agence France-Trésor cesse de payer les intérêts de la dette, se contentant de rembourser le principal (ce qui revient pour elle à se mettre en défaut vis-à-vis des créanciers),
à partir de 2014, le gouvernement parvient à collecter 50 Mds€ d’impôts supplémentaire chaque année, sans que cela ne ralentisse l’activité économique du pays, ce qui est une gageure,
que l’inflation reste stable à 2% par an et que les dépenses et les recettes publiques n’augmentent pas plus vite que l’inflation.
Dans ce scénario, notre pays aura fini de rembourser la dette publique en 2051, dans presque 40 ans, soit plus d’une génération.
Trois de ces hypothèses n’ont pas la moindre chance de se réaliser : le déficit dépassera 3% du PIB en 2013, faire défaut sur le paiement des intérêts ne permettrait plus de refinancer la dette, on ne parviendra pas à collecter 50 Mds€ d’impôts supplémentaires dans une économie en récession, après les 28 Mds€ d’impôts de la loi de finances votée en décembre 2012. Ce n’est donc pas une génération, qui est impactée par la dette présente, mais plusieurs. En l’absence d’un changement radical de notre système économique, nos arrière-petits enfants supporteront encore le poids de notre dette.
Qu’est-ce que cela signifie ? Que la Grèce ne remboursera jamais sa dette. Que l’Italie, qui, contrairement à la France, est en solde budgétaire primaire positif (c’est-à-dire équilibré avant le paiement des intérêts) ne paiera jamais sa dette qu’elle traîne comme un boulet depuis trente ans. L’Espagne ? l’Irlande ? pas mieux. L’AngleterreLe Royaume-Uni ? Non. Les puissantissimes Etats-Unis d’Amérique et leurs 16.000 milliards de dollars de dette ? Non plus. Même l’Allemagne ne remboursera jamais. Nous sommes proches d’un grand « reset ». Nous allons devoir nous faire à l’idée que les gigantesques dettes, se montant à des sommes inconcevables (plusieurs dizaines de milliers de milliards de dollars pour les pays de l’OCDE), accumulées depuis 30 ans, vont devoir passer à la trappe. Elles ne seront jamais remboursées de manière « conventionnelle ». Elles ne pourront pas non plus être effacées de manière « circulaire » comme veulent le faire croire des messages populaires circulant sur le net (le boucher a prêté au boulanger qui …). Est-ce un cataclysme en soi ? Non. La fin d’un monde, oui, mais pas d’un monde si vieux que ça. Plutôt la fin d’une parenthèse qui a démarré au début des années 70 ou 80 ou au lendemain de la seconde guerre mondiale, 1929 si on veut remonter plus loin. Guère plus de la longueur d’une vie humaine en tout cas. Cela va-t-il changer le monde ? Tel qu’on le connaît, sûrement un peu, mais face à la montée en puissance des pays émergents qui, paradoxalement, ne connaissent pas les déficits et sont devenus nos créanciers, pas tant que cela non plus.
Peut-on effacer trente ou quarante ans d’accumulations de dette, sans douleur, sans problème, sans contrainte et en un tour de main, comme le laissent croire des marchands de rêve (les « vendeurs de repas gratuits » – free meals, comme les appellent les Américains) ? On peut en douter ! Mais l’austérité à tout prix, le « vous allez en baver, partir à la retraite à 78 ans, être payé 20% de moins mais dans 5 ans tout ira mieux » des Cassandres, déclinistes ou apôtres de la décroissance n’est pas plus réaliste. Les marchands de rêves vendent aussi du cauchemar. Dans le prochain article, nous examinerons les solutions qu’ils proposent.
P.-S.
Ingénieur informatique de formation, spécialisé dans la hi-tech, Nicolas Quint est désormais conseiller financier pour les PME. Il participe régulièrement aux débats sur l’avenir du modèle français (Blog Libération, Alternatives économiques).Notes
[1] Ce chiffre représente un an de production de richesse dans notre pays. Les limites du calcul du PIB ont été montrées à maintes reprises. Par exemple la production alimentaire qui est non consommée et jetée est comptée dans le PIB. Si la pelouse du stade de France est dégradée lors d’un match, la dégradation de la pelouse n’est pas comptée en perte de richesse, mais sa réfection est comptée comme une augmentation de richesse. C’est un autre débat que nous n’engagerons pas ici.
[2] ODAC : Le plus souvent, les ODAC sont des opérateurs de l’État. Le Centre national de la recherche scientifique (CNRS), le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Météo France ou encore le Fonds national d’aide au logement (FNAL) l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) sont des ODAC (source INSEE).
[3] Principalement des OAT, « Obligations Assimilables du Trésor qui sont des emprunts d’État, émis pour une durée de 7 ans minimum et 50 ans maximum. Il s’agit de titres de dette de l’Etat
[4] Cette façon de valoriser l’actif, nommée mark-to-market, promue par les anglo-saxons, a été un des accélérateurs de la crise financière de 2008.
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